Un homme peut-il être sage-femme ? par Willy Belhassen

Texte de l’ intervention de Willy Belhassen, sage-femme, libéral, à la Journée d’étude de la S.H.N., le 19 Septembre 2009

La profession de sage-femme a été ouverte aux hommes en France en 1982, à la suite d’une directive européenne qui portait sur la non discrimination sexuée dans toutes les professions. Avant cette date, l’accès à la formation ne leur était pas autorisée et il fallait être de sexe féminin pour se présenter au concours d’entrée à l’ École des Sages-femmes. Cette clause a disparu le 19 mai 1982.

J’ai présenté le concours l’année d’ouverture, en 1982. A l’époque, j’étais en terminale et cherchais une orientation professionnelle. En feuilletant ” l’ Étudiant “, mon attention a été attirée par un paragraphe intitulé : « Messieurs les sages-femmes ». Il y était indiqué que la France était en retard pour se mettre en conformité avec les dispositions du Traité de Rome, et qu’il restait encore quelques mois avant le concours suivant pour supprimer la clause de sexe dans l’accès à ce métier, ce qui allait permettre effectivement son ouverture aux hommes.

J’avais toujours pensé que l’accueil des enfants était une étape importante, pour les parents certes, mais surtout pour l’enfant et qu’il devait être possible d’aider à ce que la naissance se passe dans de bonnes conditions. A la lecture de ce texte, la sage-femme m’a semblé être une personne bien placée pour un accompagnement et un soutien dans ce temps de grossesse, de naissance et de début de la vie. J’ai donc passé et réussi le concours d’entrée. En 1982, à Paris, 1400 postulants environ se sont présentés, dont 10 garçons. Trois ont été reçus, mais je suis le seul « rescapé » sur Paris de la première promotion d’hommes sages-femmes. Pour la petite histoire, il faut savoir que plusieurs jours avant la date des résultats, les journalistes ont commencé à m’appeler…

La question d’un homme sage femme mobilisait la réflexion dans les années 80-81, avant que le texte de loi ne modifie l’accès à la profession. Elle se posait un peu partout dans les services, pour les gynécologues, pour les sages-femmes. Plus on avançait dans le temps avec cette probabilité, plus cette question était soulevée. On entendait des choses intéressantes, comme des réflexions de collègues sages-femmes : ” Mais de toute manière, ce n’est pas possible, parce qu’ils n’auront jamais la patience “. C’était écrit dans le marbre, les hommes ne sont pas patients et ne pourront donc jamais attendre le temps nécessaire. Il y avait aussi le fait que c’était une profession encore exclusivement féminine, spécifique, historiquement liée à la femme. Beaucoup de collègues ont pendant quelques années tenté de défendre le bastion féminin des sages-femmes et de la naissance, en s’opposant de manière systématique à ce que les hommes puissent exercer ce métier.

Je suis donc arrivé dans mon École, à Suresnes, du haut de mes 18 ans. On m’a expliqué que c’était une profession médicale, alors qu’on l’assimile fréquemment à une profession paramédicale. J’ai rencontré assez peu de difficultés dans mon intégration, même si pendant toutes mes années d’études, j’ai été en observation permanente. Mon chemin est parcouru de petites anecdotes, comme le fait qu’on m’appelait par mon prénom alors que ce n’était pas l’usage, sur les vestiaires qui étaient uniquement féminins, etc… qui illustrent bien la difficulté d’évolution des mentalités, y compris chez des collègues de même âge que moi. Pour les sages-femmes plus âgées, cette intégration des hommes sages-femmes représentait un chamboulement de leur métier, mais c’était moins prononcé chez celles qui avaient entre 18 et 24 ans, car les hommes évoluent dans le monde de la naissance depuis longtemps, et cela fait trois siècles que les premiers barbiers et barbiers chirurgiens sont arrivés dans cet univers.

Les études sont passées. J’avais mon service militaire à faire et j’ai eu des échanges de courriers assez extraordinaires avec le Ministère de la Défense. Ensuite, j’ai travaillé en hôpital pendant 4 ans, comme titulaire à Antoine Béclère. Dès que l’occasion s’est présentée, en janvier 1989, je me suis installé en libéral pour proposer l’ « accompagnement global », car pendant mes études, je m’étais aperçu qu’on ne pouvait pas consacrer beaucoup de temps aux personnes à l’hôpital. A l’époque, toutes mes collègues m’ont traité de fou, m’avertissant que je ne trouverai jamais de structure à cause des gynécologues, et que même si j’ en trouvais une, les femmes ne viendraient jamais me voir. J’ai tout de même essayé et je peux dire, vingt ans plus tard, que non seulement c’est possible mais de plus, les femmes et les couples viennent très souvent.

Cette question « Un homme peut-il être sage femme ? » est un vaste thème. J’aimerais préciser à nouveau que cette profession, forcément féminine, est très ancienne. Depuis toujours, tant que les femmes ont mis au monde des enfants, il y a eu des personnes qui étaient à côté, auprès, aux alentours, présentes pour faire en sorte que la naissance puisse se faire. Bien souvent, en effet, il s’agissait de femmes. Mais nous savons que, dans certaines tribus, la femme qui va accoucher s’exile au moment de la naissance, et les hommes du village forment un rempart pour empêcher le passage, par exemple des mauvais esprits. Ici, c’est en fonction de croyances et d’éléments culturels. Il y a également les rites de couvade. C’est aussi une fonction de la sage-femme que d’être présente pour que la femme puisse mettre son bébé au monde aussi « bien » que possible.

De nos jours, personne ne s’interroge sur les hommes gynécologues-obstétriciens, mais on se pose la question en ce qui concerne un homme sage-femme. Probablement parce que ce n’est pas pareil d’être médecin dans le cadre de la naissance que d’être sage-femme…

Depuis trois siècles, Morisseau (1637-1709) est considéré par tous comme un obstétricien. C’était un chirurgien, à l’époque du développement de la chirurgie, juste après les barbiers. A cette époque, les premiers hommes à être arrivés dans la naissance ont tout de même été appelés « sages-femmes en culottes », voire « hommes sages-femmes », de manière tout à fait péjorative. Cela signifie qu’à l’époque déjà, l’arrivée des hommes qui ont donné nos obstétriciens aujourd’hui ne s’est pas faite simplement, et c’était sûrement hautement plus péjoratif encore que de nos jours.

Ce n’est pas la même fonction d’être médecin ou sage-femme, dans la mesure où il y a une dimension dans la profession des sages-femmes qui est de l’ordre de l’accompagnement et de la présence, qui n’est pas une dimension « obligatoire », pourrait-on dire, lorsque l’on est médecin. Parfois, je m’attire quelques foudres en disant que la raison d’être des médecins, c’est malgré tout d’intervenir, qu’on le veuille ou non : ils sont arrivés dans l’histoire de la santé des gens, et notamment dans le cadre de la naissance, par la capacité d’intervention technique. Ce n’est absolument pas la raison d’être des sages-femmes, qui n’ont pas attendu de disposer de techniques pour être présentes dans l’accueil et dans l’histoire des femmes comme des naissances. On se doute bien que la sage-femme ne fait pas exactement la même chose que le médecin. Actuellement, les cartes sont un peu brouillées parce qu’avec notre superbe « technologisation » des trente dernières années, beaucoup confondent médecin et sage-femme, comme s’ils avaient la même chose à mettre en place. Je me souviens de l’intervention d’un assureur, il y a une dizaine d’années de cela, qui ne faisait absolument pas la différence entre ce que les sages-femmes avaient à faire et les médecins ; c’était la même chose, à la variante près. Or ce n’est pas le même métier, ce ne sont pas les mêmes fonctions.

La question du nom s’est posée, évidemment. L’ Académie Française, en 1982, a décidé qu’on utiliserait le terme sage-femme également pour les hommes, en disant « hommes sages-femmes ». Elle a aussi introduit « maïeuticien » dans la langue française, terme qui n’existait pas et dont la définition est « homme sage-femme ». Être un homme et avoir « femme »dans le nom de son métier semblait bizarre dans nos sociétés. Une revue médicale a organisé un concours et il y a dans les archives la liste de tous les noms qui étaient proposés pour ce métier, soit une bonne cinquantaine. L’ Académie Française a tranché en disant que le mot sage-femme signifiait avoir la connaissance (sage) et femme se rapportait aux femmes dont on s’occupe. Mais ils ont malgré tout décidé d’introduire le terme « maïeuticien », qui a mis du temps à entrer dans les dictionnaires. A l’époque, on le trouvait uniquement dans le Robert, et le mot a été introduit dans le Larousse il y a moins d’une dizaine d’années. Ils ont joué sur les deux tableaux : ils ont gardé sage-femme, car c’était cohérent et ils ont aussi introduit maïeuticien. Le terme « maïeutique » refait son bonhomme de chemin puisque dans un certain nombre de textes, notamment sur la formation, il revient pour désigner la profession de sage-femme.

Un homme peut-il être sage femme ? Évidemment, la patience, l’écoute, voire même la tendresse, ne sont pas spécifiquement féminines, de même que la rigidité n’est pas uniquement masculine. Il n’y a pas de compétences spécifiquement masculines ou féminines dans la relation à l’autre et dans le fait de pouvoir être auprès de l’autre, quelles que soient les circonstances.

Cependant, je me suis demandé si, historiquement parlant, l’arrivée des hommes dans la profession n’avait pas été un détonateur, pour les sages-femmes, pour repartir à la recherche de leur identité. En effet, au début de mon parcours, mes collègues me demandaient souvent pourquoi j’avais choisi cette profession et avant de leur répondre, je leur retournais la question. C’était étonnant de voir la proportion de mes collègues femmes qui avaient choisi ce métier uniquement parce qu’elles étaient femmes. Il leur semblait évident que le fait d’avoir un utérus, des organes génitaux féminins, faisait d’elles la candidate idéale pour pouvoir accompagner les autres femmes dans leurs histoires de grossesse, de maternité, voire de non maternité. Le fait que je sois un homme et que j’assume la même fonction en a incité un certain nombre à se demander pourquoi elles se satisfaisaient uniquement du fait d’être femme. Il y a une sorte de rivalité entretenue entre les hommes et les femmes, dès les cours d’écoles, qui ne prend absolument jamais en compte notre caractéristique d’être humain. Nous sommes, hommes ou femmes, des êtres humains et il me semble que cette valeur d’être humain est supérieure au simple fait d’être un homme ou une femme.

Il y a donc une redéfinition de la sage-femme. Pendant quelques années, y compris dans la profession, on avait beaucoup de mal à faire cesser l’usage de « profession à compétence limitée », car les praticiennes se comparaient sans cesse aux médecins et que tout le monde avait décidé que c’était une compétence limitée. Or, il s’agit d’une « profession médicale à compétence définie ».

Nous subissons dans cette société notre fonctionnement de société. Vous savez comme moi que dans les couples, l’homme, est d’une catégorie socio-professionnelle supérieure à son épouse dans presque tous les cas, et quand c’est le contraire, il y a souvent de grosses difficultés. Les gens ne le font pas volontairement. Ces schémas sont gravés dans notre inconscient collectif et se reproduisent un peu tout seuls ; lorsque les gens en prennent conscience et tentent de fonctionner différemment, tout l’entourage vient les recadrer. Prenons par exemple le fameux « un garçon, ça ne pleure pas ». Quel petit garçon en France peut dire qu’on ne lui a jamais dit qu’un garçon ne pleurait pas ? Certaines familles font attention, mais la société va s’en charger. On a réalisé une étude dans laquelle on montrait un bébé de quelques mois qui pleurait à 50 personnes en disant que c’était un garçon, et à 50 autres personnes en disant qu’il s’agissait d’une fille. Qu’ont dit les gens ? Ceux qui voyaient un « garçon » ont dit : il est drôlement en colère, et les autres ont dit : elle a beaucoup de chagrin. On est tous « victimes » de cela, c’est le moule dans lequel on a été éduqué, c’est la raison pour laquelle les choses n’évoluent pas plus rapidement.

L’arrivée des hommes dans ce métier était une sorte de paradoxe. Ce n’étaient pas des hommes qui voulaient être médecins et qui auraient échoué en médecine, mais des hommes qui voulaient être dans cette dimension de présence et d’accompagnement de cet événement, en ayant conscience que cela peut être important pour les futurs parents, pour l’enfant et de facto pour notre société, puisque beaucoup de choses se mettent en place dans le cadre de la naissance.

On voit, incidemment, « maïeutique » s’introduire pour désigner la sage-femmerie en France. Personnellement, je n’ai jamais revendiqué le changement de nom, ni milité en ce sens, trouvant peu respectueux de le faire simplement parce que quelques hommes arrivent dans la profession. Néanmoins, il y a dans l’inconscient collectif une sorte d’aspect un peu « désuet » de la sage-femme. Les sages-femmes ont énormément de difficultés de reconnaissance à tous les niveaux. Il y a une reconnaissance qu’elles n’ont pas réclamée et qu’il est normal qu’on ne leur donne pas, mais il y a également des choses qu’elles réclament et qu’on ne leur donne pas. Or, cette problématique de reconnaissance, pour aussi absurde que cela puisse paraître, peut très bien s’articuler également autour d’une terminologie. La maïeutique, c’est Socrate, dont la mère était sage femme, mais maïeuticien a été créé en 1982. L’usage de maïeutique pour désigner la grossesse physiologique et l’accouchement physiologique est très récent. Si la terminologie change, les sages-femmes doivent utiliser ce vecteur pour être, dans notre société, réellement reconnues à leur juste niveau, à leur juste valeur, à leur juste responsabilité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Au-delà – mais c’est utopique – je rêve d’un monde et d’une société où la rivalité homme/femme ne soit plus une rivalité, mais une complémentarité. J’espère que les quelques hommes sages-femmes actuellement dans la profession réussissent ce dur pari au quotidien de faire en sorte que ce soit plutôt dans cette complémentarité et dans cette émulation, dans cet intérêt à voir la même chose sous des aspects différents et que ce soit profitable par conséquent à tout le monde, aux patientes, aux bébés, aux conjoints et aussi à la profession en elle-même, pour qu’elle devienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, c’est-à-dire une profession majeure dans la société.

Sans les personnes compétentes pour aider à accueillir les humains, qu’est ce qu’une société ?