Droit des femmes à disposer de leur corps. Est-ce possible quand on accouche ? par Selina Kyle

Selina Kyle est fondatrice du GRENN (Groupe Radical des Excitées de la Naissance Naturelle).

Les origines du GRENN

Le GRENN, créé le 1er avril 2008, est constitué de femmes pour la plupart d’horizons divers, aussi bien culturellement que géographiquement. Certaines sont mères, d’autres pas, d’autres encore n’envisagent même pas de le devenir. Nous bénéficions aussi de la contribution d’hommes qui, comme nous, ne sont pas tous impliqués dans le milieu de la périnatalité, mais qui soutiennent notre combat. On retrouve donc chez les « Déchaînées » un mélange de solidarité, une énergie créatrice et surtout une expression très libre.

Mode de fonctionnement

Nous fonctionnons comme un groupe informel et inconstant, donc non constitué sous forme d’association, et nous avons été très inspirées par un documentaire qui est passé sur Canal +, intitulé “Les nouveaux contestataires “, où il était question de groupes comme “Génération Précaire “, ou “Jeudi Noir”, des groupes de jeunes qui parlaient de la difficulté, pour un jeune, de trouver un appartement par exemple. Je reprendrai certains de leurs mots. L’un d’eux avait dit qu’il avait envie de ” sortir du schéma qu’on avait tracé pour lui et de reconstruire de l’idéal “, ce qui nous avait beaucoup touchées. Il était question aussi de joindre l’utile à l’agréable en intégrant du fun dans la démarche militante et de se faire voir pour se faire entendre. Nous avions donc un message sérieux, mais qui surprenait par sa fraîcheur et son côté décalé, avec des jeunes qui par exemple s’incrustaient dans des manifs en étant déguisés, ou qui faisaient une fête improvisée dans un appartement proposé à la location à prix totalement prohibitif…

Nous avons de la même manière chez les « Déchaînées » une grande liberté dans l’engagement, chacun apportant son temps, son énergie et ses idées, quand il peut et quand il le souhaite.

Les « Déchaînées » se distinguent donc par la manière dont elles expriment leur message, osant le coup de gueule, se permettant d’exaspérer, de déranger, voire même de déplaire franchement, aux seules fins de provoquer une réflexion, d’attirer l’attention sur un problème qui nous paraît majeur, à savoir le non respect des femmes, la manière dont elles sont privées de la liberté de disposer de leur corps et l’infantilisation dont elles sont souvent victimes quand elles sont enceintes ou qu’elles accouchent. Pour que notre colère soit entendue, il fallait l’exprimer d’une manière surprenante, qui capte l’attention. Nous avions envie de nous amuser et d’essayer de briser les résistances par le rire. C’est donc l’alliance de l’humour, de l’autodérision, de l’effronterie et de l’inconvenance, exprimées dans le cadre d’une démarche artistique, qui font la griffe des « Déchaînées ».

Motivations

Parmi nos motivations, il y a le dossier des Maisons de Naissance, la problématique de l’accouchement à domicile en France, l’éthique de la relation patient/soignant, ainsi qu’une réflexion féministe sur l’accouchement.

Je passerai aussi en détail nos ambitions, parmi lesquelles interpeller massivement les femmes, user d’une totale liberté de parole et de ton, interpeller les soignants ainsi que le ministère de la Santé et plus largement les politiques.

L’élément déclencheur qui nous a poussées à l’action, c’est la mascarade à laquelle on assiste en France sur le dossier des « Maisons de Naissance », réclamées par de nombreuses femmes et sages-femmes comme alternative à l’accouchement en milieu hospitalier. Ce modèle existe dans d’autres pays : il y en a par exemple plus de 120 en Allemagne, il y en a en Belgique, en Suisse, en Autriche. Non seulement on nous les refuse, mais on trouverait de bon goût d’appeler « Maisons de Naissance » des espaces dédiés à la physiologie situés à l’hôpital, au sein d’une maternité. En apprenant cela, on a vraiment compris qu’on se moquait de nous et que cela risquait de prendre encore des années avant que les femmes françaises puissent bénéficier de la même liberté de choix que leurs voisines européennes. On nous avait pourtant laissé entrevoir la possibilité d’obtenir des « Maisons de Naissance », puisque M. Kouchner en parlait déjà en 1998, disant qu’elles seraient établies sur le modèle allemand, et que M. Douste-Blazy, sur un plateau de télévision en 2005, en citant le plan périnatalité 2005/2007, affirmait qu’il en ouvrirait. Nous sommes en 2009 : toujours rien.

Dès le départ, il semblait difficile de s’affranchir d’une condition impérative pour le Collège National des Gynécologues Obstétriciens ainsi que pour le ministère de la Santé : la proximité avec un bloc obstétrical. Au fil du temps, cette proximité s’est précisée : « non séparée par une voie de circulation et ne nécessitant pas de transport motorisé en cas de transfert. » On nous offrait très généreusement des pôles physiologiques ou accès à plateaux techniques pour sages-femmes libérales en les baptisant Maisons de Naissance, le but étant toujours et encore de refuser un accompagnement médical aux femmes qui souhaitent accoucher hors de l’hôpital, qui pour certaines est un environnement anxiogène.

Même quand ces « Maisons de Naissance » à la française existeront – et ce n’est pas gagné – les femmes françaises qui veulent accoucher en « Maison de Naissance » continueront à traverser les frontières et à le payer au prix fort, puisque la Caisse d’Assurance Maladie Maternité à laquelle elles ont cotisé refuse de rembourser les accouchements qui se sont déroulés dans des structures “ne correspondant pas aux exigences du système français”.

En France, il reste deux projets, Lyon et Pau. Pour Lyon, les locaux qui pourraient être aménagés sont à 250 mètres d’une maternité. La particularité de Pau, c’est que la Maison de Naissance existe déjà, ils ne demandent même pas de financement, ils ont juste besoin d’une autorisation pour fonctionner.

L’accouchement à domicile n’est pas interdit, pas dans les textes effectivement. Il existe néanmoins différents moyens pour dissuader les femmes de faire ce choix. D’abord par une information quasi inexistante ou déloyale sur le sujet, l’accouchement à domicile n’étant jamais, ou très rarement, présenté comme une option parmi d’autres pour un accouchement à bas risque. Ensuite, par l’impossibilité pour les sages-femmes libérales exerçant à domicile de contracter une assurance pour cette activité. Vient ensuite la faible rémunération, qui ne prend absolument pas en compte le temps que passe une sage-femme au domicile de la patiente qui accouche, ses consultations qui sautent et l’impact sur la vie de famille. Je citerai également la formation initiale des sages-femmes qui ne les prépare absolument pas à s’engager dans ce type de voie. L’offre est donc peu importante : une soixantaine de sages-femmes toujours débordées de demandes.

Pour finir, le coût d’un accouchement à domicile est souvent élevé, des dépassements d’honoraires parfois importants venant se greffer sur la maigre contribution versée à la sage femme pour l’accouchement, à peu près 350 euros. Il y donc plusieurs freins : l’information, la faiblesse multifactorielle de l’offre et le coût.

On constate néanmoins que des femmes et des couples, d’origine parfois modeste, sont prêts à débourser des centaines d’euros de leur poche, ce qui laisse imaginer à quel point ils tiennent à éviter la prise en charge hospitalière. Certains vont accoucher dans d’autres pays ou font appel à des sages-femmes ou médecins allemands ou belges pour un accouchement à domicile, sans pouvoir parfois obtenir de remboursement de la Caisse de Sécurité Sociale, ce qui dénote bien une pression supplémentaire pour ramener les brebis à la bergerie. Il y a eu des cas où l’accouchement à domicile s’est déroulé en France avec un praticien belge ou allemand, et il n’y a pas eu de remboursement par la Caisse de Sécurité Sociale, car certaines formalités administratives n’avaient pas été correctement effectuées par le praticien.

Notre révolte a été à son comble quand nous avons constaté que de nombreuses femmes envisageaient d’accoucher seules chez elles sans assistance médicale, non par choix, mais par dépit de ne trouver aucune alternative à l’accouchement en structure hospitalière. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons fait notre Manifeste en faveur du droit à l’accouchement à domicile accompagné par une sage-femme. Nous avons aujourd’hui plus de 2960 signatures et plus de 630 soutiens. Nous avions souhaité alerter le ministère de la Santé et les professionnels sur ce qui nous paraît être un problème de santé publique. Sans suite. Ces femmes n’intéressent visiblement pas grand monde.

Le lieu de l’accouchement

Toutes les femmes sont donc le plus souvent contraintes d’accoucher à l’hôpital si elles veulent un accompagnement médical pour intervenir en cas de problème. Nous pensons que si le lieu importe pour elles, il faut pouvoir l’entendre, non seulement pour que l’accouchement ait de meilleures chances de bien se dérouler, mais surtout pour qu’elles puissent vivre pleinement et intensément ce moment si rare et précieux, cet événement intime qu’est une naissance. En effet, quand une femme choisit un lieu pour mettre son bébé au monde, c’est sa culture qui s’exprime, mais aussi son histoire, son vécu. Refuser de répondre à la demande d’accouchement hors structure hospitalière, c’est ne pas respecter l’être humain dans son intégralité et vouloir imposer les valeurs d’un système à un individu. C’est aussi violent, à nos yeux, qu’imposer à une femme qui souhaite accoucher à l’hôpital sous péridurale un accouchement à domicile sans antalgiques. Dire que le lieu importe peu pour imposer l’accouchement à l’hôpital, c’est nier à une femme le droit d’exprimer une sensibilité qui lui est propre, c’est la stigmatiser et vouloir la reformater. C’est oublier que le sentiment de sécurité est quelque chose de très subjectif, mais aussi de très profondément ancré dans l’être, l’émanation de peurs et d’envies qu’on n’efface pas en changeant la décoration d’une salle d’accouchement. C’est aussi occulter le fait qu’à un lieu sont liées des personnes et des pratiques.

Il résulte de cette absence de réponse à la demande d’accouchement hors structure hospitalière une situation inconfortable, autant pour ces femmes que pour les soignants. Ces femmes, très informées, avec une idée très claire de ce qu’elles veulent et de ce qu’elles ne veulent pas, débarquent à la maternité en réclamant qu’on respecte la manière dont elles envisagent de vivre la naissance de leur enfant, et que le soignant ne leur impose pas le kit de prise en charge traditionnel. Se sentant en terrain hostile, confrontées aux sacro-saints protocoles auxquels il est parfois tellement simple de dire qu’on ne peut pas déroger, elles se retrouvent en situation conflictuelle avec l’équipe médicale, encore plus quand elles osent citer des recommandations professionnelles ou des études scientifiques pour appuyer leurs demandes. Ces femmes ne sont pas en mesure de se battre le jour de l’accouchement, moment où la relation de pouvoir s’exprime au plus fort ; nous sommes par contre en mesure de nous battre pour elles pour exiger que leur choix soit respecté.

L’information est souvent trouvée sur Internet, sur des sites consacrés à la grossesse ou à l’accouchement, ou sur des forums. Cette information recueillie par la femme a souvent du mal à être échangée avec le soignant, qui souvent n’estime pas qu’une profane puisse avoir le droit de lui dicter la manière dont un accouchement doit être géré et qui n’est pas disposé à s’écarter de sa pratique quotidienne, ni bien souvent de mettre en question sa formation ou ses habitudes. Même le projet de naissance, qui devait instaurer un dialogue aux fins de permettre à la femme de se réapproprier son accouchement, est fréquemment l’occasion d’exprimer la relation de pouvoir qui peut exister entre cette femme, son éventuel conjoint et le soignant. Certaines sont sorties en pleurs de cet entretien, leur projet de naissance raturé à l’encre rouge et une fin de non-recevoir pour la plupart de leurs demandes.

Nous nous sommes penchées sur l’éthique de la relation patient/soignant, encore très souvent verticale, le soignant opposant son savoir à la prétendue ignorance de la femme et étant plus ou moins disposé à tenir compte de ses demandes. Cela peut passer par une infantilisation, un chantage affectif ou des railleries. Cette relation de pouvoir se manifeste dans les attitudes et les propos, qui peuvent donner à la femme un sentiment d’infériorité ou d’incompétence, ce qui n’est pas sans conséquences sur la manière dont elle va se positionner par rapport à son enfant. Quand on a le sentiment d’être incompétente pour mettre son bébé au monde, très logiquement, parfois, on se sent incompétente pour s’en occuper.

Au moment où une femme franchit le seuil de la maternité, elle est privée de tout droit sur son corps. Ne lui sont permises que les choses qui recueillent l’assentiment des soignants ; lui sont interdits tous les actes qui semblent incongrus aux soignants. Ceci est d’autant plus choquant à nos yeux qu’on parle d’un phénomène physiologique qui sera sans complications dans la plupart des cas et non d’une pathologie. C’est le corps de la femme qui sait, et c’est elle qui sent, physiquement et psychiquement. Ce savoir inné n’a toutefois pas grande valeur aux yeux du corps médical. L’accouchement ayant été modélisé, tout ce qui s’écarte d’une norme devient suspect et entraîne un geste de la part du soignant, une contrainte sur le corps. Concernant ces gestes, bien souvent on ne cherche pas à obtenir le consentement éclairé de la patiente, parce qu’on ne veut pas prendre le temps de lui expliquer quelque chose dont on estime qu’elle n’en saisira pas forcément la portée, mais surtout parce que le faire est d’autant plus inutile qu’on n’est pas disposé à agir autrement. Nous souhaitons amener les femmes à se réapproprier leur corps et leur accouchement, à s’interroger, à tenter d’imaginer ce qu’elles pourraient gagner en s’y impliquant davantage, quitte à se positionner contre ce qu’on veut leur imposer et à manifester leurs exigences.

Vient ensuite la réflexion féministe, et pour illustrer mon propos, je vais prendre deux exemples extrêmes. Le premier est celui d’une femme qui refuse la pose d’une voie veineuse. Celle que la plus ouverte des sages-femmes hospitalières mettra sans nul doute dans la catégorie « extrémiste de la naissance naturelle » et qui lui fera certainement dire que cette femme n’a qu’à rester chez elle. Quand on s’arrête sur cet exemple, on constate que c’est avant tout la peur du soignant qui s’exprime et que, d’autre part, le soignant estime a priori la femme irresponsable, n’ayant pas conscience des conséquences fâcheuses que son choix pourrait impliquer. Nous posons donc la question : et si on s’intéressait aux avantages que cela représente pour cette femme ainsi qu’aux effets positifs générés par le respect de cette demande, instaurant dès lors une relation de confiance entre la patiente et le soignant qui facilitera les éventuels gestes médicaux qui pourraient s’imposer si cela tournait mal ? La position du soignant est ici contradictoire. Cette femme est venue en milieu hospitalier pour bénéficier de ses compétences en cas de souci, elle n’est donc absolument pas opposée à ce que la naissance de son bébé soit médicalisée si cela s’avère nécessaire. L’incapacité du soignant à accompagner cette femme selon ses désirs, en lui laissant endosser la responsabilité de ses choix, peut perturber le déroulement de l’accouchement en mettant la femme en obligation de se battre pour se faire respecter, et dans cette configuration, les femmes ont rarement le dessus et en ressortent parfois profondément meurtries.

Le deuxième exemple concerne à l’opposé une femme qui demande précocement une péridurale dès que ça pince ; elle ne veut rien savoir ni du ballon, ni des positions antalgiques. La femme à laquelle on reproche parfois de ne pas savoir se prendre en charge, quand on ne la traite pas tout bonnement de gamine parce qu’elle en fait trop, manifeste une douleur d’une manière jugée « exagérée ». La fameuse patiente en début de travail qui est déjà très algique, qui exaspère. Alors qu’on nous impose le modèle de l’accouchement sous péridurale comme étant le nec plus ultra depuis des années, alors qu’on nous dit que c’est même plus sûr en cas de nécessité de recourir à une césarienne – c’est aujourd’hui un accouchement sur 5 qui finit en césarienne – , alors que parfois même la consultation anesthésique est l’occasion d’orienter ou d’asseoir le choix de la patiente en sa faveur, alors qu’on nous a rabâché qu’il ne servait à rien de souffrir : comment ne pas comprendre que des femmes ne voient pas la moindre utilité à se frotter à des sensations désagréables ? Alors qu’on leur présente les douleurs de l’accouchement comme étant tellement horribles qu’accoucher sans péridurale est insensé, comment ne pas comprendre que certaines soient mortifiées dès qu’elles en éprouvent les prémices ? Là encore, la sensibilité du soignant est mise en opposition avec celle de la patiente et est parfois l’occasion de brimades. Aujourd’hui, lorsqu’une patiente a mal et demande à être soulagée de sa douleur, on est dans l’obligation de répondre à sa demande. Ce n’est pas le sentiment du soignant qui prime, c’est le ressenti de la femme qui accouche. Si nous avons choisi d’appeler notre groupe le GRENN, Groupe Radical des Excitées de la Naissance Naturelle, c’est avant tout par sens de l’autodérision et de la provocation, absolument pas pour imposer un modèle d’accouchement naturel. Accoucher sans analgésiques doit rester un acte volontaire, il ne saurait être contraint. Personne ne peut se porter juge de ce qui est tolérable ou pas à un être humain.

La médecine s’est totalement accaparé l’accouchement. La plupart des femmes, profanes parmi les profanes, n’ont aucun mot à dire sur la manière dont on va diriger les choses pour elles, le seul choix qui leur est laissé est parfois celui du CD qu’elle pourront écouter en salle d’accouchement. Dans d’autres endroits, réputés comme étant plus ouverts à la physiologie, elles peuvent choisir parmi un éventail de possibilités jugées convenables par la maternité. Mais force est de constater que les femmes peuvent déranger, autant quand elles se soumettent trop que lorsqu’elles remettent le système en question. Ce n’est pas le monde médical qui s’adapte à la patiente, c’est la patiente qui va devoir faire selon la sensibilité du soignant qu’elle va rencontrer. Ceci est pour nous inacceptable et dénote un grave problème de formation, une absence de réflexion sur l’éthique de la relation patient/soignant. S’il semble que sur ce sujet il y ait des avancées dans la prise en charge de pathologies, le patient doit être impliqué dans les choix thérapeutiques et peut refuser de se faire soigner selon ce qui semble raisonnable aux médecins, il n’en va pas de même en obstétrique, où les femmes sont trop souvent traitées telles des mineures, des personnes pour lesquelles il faut que le soignant décide.

La culpabilisation des femmes

Un autre moyen dont on use fréquemment est la culpabilisation des femmes quant aux conséquences de leurs choix sur leur enfant à naître, comme si les intérêts d’une femme et de son bébé étaient antagonistes, comme si un bébé devait forcément souffrir si sa mère prenait plaisir à le mettre au monde à sa façon. De fait, la seule personne qui ait le droit de faire courir un risque à ce bébé ou à cette femme qui accouche, c’est le soignant, dont les actes, à portée parfois fortement iatrogène, sont rendus licites par son statut médical. La médecine sauve, tout le monde le sait, un médecin ou une sage-femme ne saurait nuire…

La douleur

Alors que la péridurale s’est imposée comme étant le seul vrai moyen de mettre un terme aux douleurs de l’accouchement et a été, à ce titre, largement plébiscitée par les femmes, de plus en plus revendiquent bizarrement le droit d’accoucher dans la douleur, tout en testant souvent des méthodes alternatives pour les aider à la traverser. Revient au goût du jour la méthode Lamaze ; il y a l’haptonomie, la sophrologie, l’hypnose, le chant prénatal, l’eutonie…. Il y a ici quelque chose de profondément novateur dans la manière dont les femmes vivent l’accouchement, c’est même toute la représentation de cet événement qui s’en trouve bouleversée. Il est aujourd’hui question pour certaines de reprendre le pouvoir pour réhabiliter le corps, pour que le processus physiologique ne soit pas perturbé.

En effet, si la méthode Lamaze a donné à beaucoup de femmes une meilleure connaissance de leur corps, elle les maintenait dans un état de soumission vis-à-vis du soignant. Aucun geste thérapeutique n’était d’ailleurs remis en question, on appliquait une méthode qu’on nous avait généreusement offerte et la préoccupation de beaucoup de femmes était de l’appliquer de manière à donner satisfaction au soignant qui la leur avait inculquée. De fait, ainsi que le dénonce l’ouvrage Les bateleurs du Mal-Joli de Marie-José Jaubert, suivi de Ces hommes qui nous accouchent, si la douleur était souvent bien présente, la femme offrait en spectacle pour le soignant et pour son conjoint le visage d’une femme qui se maîtrise. Aujourd’hui, des femmes revendiquent au contraire le droit de ne plus rien maîtriser, d’être libres de s’exprimer comme bon leur semble. Elles s’entourent donc de préférence de personnes qu’elles connaissent et en qui elles ont confiance, des personnes qui ne porteront pas un jugement négatif sur leur comportement.

Une étude britannique récente mettait en avant ce que beaucoup de femmes qui ont accouché savent déjà : le fait de crier ou de jurer atténue la douleur. Nous avons aujourd’hui des femmes qui revendiquent le droit d’insulter leur conjoint ou leur sage-femme si cela peut les soulager. Très sérieusement, ce qu’il y a là derrière, c’est le droit d’exprimer ce qu’on ressent et non d’être dans l’obligation d’offrir une image de femme qui maîtrise. La liberté dont ces femmes veulent disposer remet en cause bon nombre de pratiques courantes au sein des maternités. C’est la raison pour laquelle leurs choix s’orientent très souvent vers un accouchement à domicile, en Maison de Naissance, à l’étranger, voire même pour certaines un accouchement non médicalement assisté chez elles.

Réhabiliter le corps

Je vous parlais tout à l’heure de réhabiliter le corps. Cela se traduit de plusieurs façons. Ces femmes refusent la perfusion glucosée, mais elles boivent si elles ont soif, elles mangent si elles ont faim. Elles ne veulent pas qu’on leur donne le choix entre plusieurs positions pour accoucher mais veulent pouvoir adopter librement et instinctivement celle que leur corps leur indiquera comme étant la plus favorable. Elles ne veulent pas de poussée dirigée si tout va bien et exigent qu’on attende que leur corps leur impose la poussée qui fera naître leur petit. Enfin, elles se réapproprient leur sexe en refusant qu’il soit coupé si l’état de santé de leur bébé n’impose pas qu’on l’aide à naître plus vite. Elles veulent aussi redonner à cet événement sa dimension intime et sexuelle, refusant par exemple les allées et venues dans la pièce où elles accouchent, refusant les touchers vaginaux répétés, réclamant une faible luminosité et du silence.

À cette occasion, les femmes partent à la découverte de sensations inconnues, se confrontent à elles-mêmes, à leurs limites. Ces femmes en bonne santé veulent aborder la naissance de leur enfant comme un acte naturel pour lequel leur corps est programmé. Elles estiment que moins on l’entrave, plus il peut s’exprimer, mieux la naissance se déroulera. Elles veulent un corps qui vive, qui ressente : la douleur, le plaisir, la faim, la soif, l’inconfort et le bien-être… Elles veulent être tout entières emportées par le processus qui aboutira à la naissance de leur enfant pour en ressortir grandies et plus fortes. D’ailleurs, offertes aux sensations diverses qui se présentent à elles, elles découvrent qu’un accouchement n’est pas que douleur et peur, qu’il peut aussi procurer du plaisir, de la douceur et de la joie, ceci étant fortement lié à leur acceptation initiale de la douleur puisque ce sont des femmes qui sont volontaires pour accoucher de cette manière. Elles découvrent aussi parfois la puissance de leur corps au travers d’un réflexe d’éjection intense qui ne nécessitera même pas qu’elles poussent leur bébé volontairement. À cette occasion, elles sont parfois surprises, comme lors de leur premier orgasme, emportées par une force dont elles n’imaginaient pas l’existence et contre laquelle on ne peut ni ne souhaite lutter. Elles ont envie de communiquer cette joie, de faire savoir qu’accoucher peut être une expérience libératrice, voire fondatrice, pour une femme.

Paradoxalement, la péridurale en se généralisant a donné envie à certaines femmes de s’en passer. Accoucher dans la douleur, ou plutôt d’une manière qui ne l’exclue pas, c’est aujourd’hui un choix, et non plus une contrainte imposée par la nature. De même, la généralisation de l’accouchement en milieu hospitalier a donné envie à certaines de retrouver la douceur d’un foyer pour mettre leur bébé au monde, dans des conditions d’hygiène et de santé qui n’ont plus rien à voir avec celles que connaissaient les femmes au 19ème siècle. Néanmoins, elles ont besoin de savoir que les portes de l’hôpital ne leur sont pas fermées et qu’elles seront bien accueillies si un problème survient ou est suspecté durant l’accouchement, ou si elles ressentent le besoin de recourir à une anesthésie péridurale pour pouvoir continuer à vivre pleinement la naissance de leur bébé. Or, c’est là aussi que le bât blesse aujourd’hui : des femmes accouchent chez elles en ayant peur d’aller à l’hôpital en cas de problème, à cause du mauvais accueil qui leur sera fait, ce qui est potentiellement nuisible tant à la santé de la femme qui accouche qu’à celle du bébé.

Un combat féministe

Les combats féministes ont permis aux femmes de choisir d’être mères ou pas. Plutôt focalisés sur les sujets de l’avortement et de la contraception pour ce qui est de la libération sexuelle, les mouvements féministes semblent très peu s’émouvoir de la manière dont les femmes sont parfois malmenées quand elles accouchent. C’est ce combat féministe que les « Déchaînées » veulent incarner, celui du respect dû aux femmes, quelle que soit la manière dont elles envisagent de vivre leur grossesse et leur accouchement.

Persuadées que l’accouchement s’inscrit de façon majeure dans la vie sexuelle d’une femme, nous réclamons pour elles le droit à disposer de leur corps, alors que ce dernier exécute une fonction physiologique, et une plus grande délicatesse quand il s’agit de toucher leur sexe ou de l’offrir aux regards d’autrui, étudiants par exemple, mais aussi compagnon. J’ai ici l’exemple d’une femme dont j’ai eu le témoignage très récemment, qui expliquait qu’au moment de l’expulsion, le gynécologue a invité le papa à venir voir le bébé sortir. Cette femme nous écrit qu’elle était horrifiée, elle n’avait absolument pas envie que son conjoint voie son sexe dans cet état-là, et elle nous écrit qu’à ce moment-là, elle s’était contractée, elle n’avait absolument plus envie de pousser son bébé.

Si on établit en général volontiers le lien sexualité/accouchement quand une femme a subi des violences sexuelles par exemple, ou quand il y a eu un traumatisme tel une interruption médicale de grossesse ou une interruption volontaire de grossesse, bref, quand c’est susceptible de générer des complications, on a plus de mal à accepter l’idée que le corps d’une femme s’exprime en mode sexuel quand elle accouche, que la sexualité de cette femme, son degré de pudeur ou de gêne vis-à-vis des soignants mais aussi de son compagnon, peuvent interférer de manière positive ou négative dans le déroulement d’une naissance. C’est dommage à plus d’un titre. Cela permettrait de mieux comprendre la nécessité de préserver l’intimité pour permettre à une femme de s’abandonner à son ressenti, ce qui est très difficile quand il y a des spectateurs, mais aussi d’entrevoir les possibles perturbations induites par des injonctions à faire comme ceci ou ne pas faire comme cela. Cela permettrait enfin de saisir qu’entraver le corps, vouloir le maîtriser, agir sur les postures, sur la respiration – quand il n’y a pas de problèmes – sont autant de moyens d’empêcher la femme d’accéder à cet orgasme qu’est le réflexe d’éjection, et donc de ressentir la puissance de son corps qui accouche.

Nous avons la certitude que les choses changeront sur la demande pressante et massive des femmes, il s’agit donc de les toucher largement. Nous nous servons des moyens de communication modernes pour y parvenir, d’où la création d’un site internet, mais surtout de vidéos. L’icône Selina Kyle pourrait être n’importe quelle femme, elle symbolise un combat solidaire dans lequel toutes doivent s’engager, quelle que soit leur approche de la naissance, afin que chacune puisse être respectée dans ses choix et donner naissance selon sa sensibilité, mélange de sa culture et de son histoire personnelle. Il ne s’agit en aucun cas d’imposer un modèle, tout au plus d’insuffler un renouveau dans la représentation de l’accouchement au sein de l’inconscient collectif. Nous souhaitons que le système évolue pour que toutes puissent trouver satisfaction. Cela sous-entend une modification des pratiques hospitalières, ainsi que de l’attitude des soignants, mais aussi la création de Maisons de Naissance et un accès aisé à l’accouchement à domicile accompagné par une sage-femme.

Parmi nos ambitions, il y a également celle de préserver notre liberté de parole et de ton. En effet, l’engagement associatif traditionnel impose des compromis qui tiennent compte de la sensibilité, des intérêts, des impératifs des professionnels et des politiques. Nous occultons délibérément cet aspect des choses en nous positionnant dans la radicalité, dans la contestation. L’humour nous permet de diffuser notre message librement, tout en éveillant une curiosité propice à la réflexion, et cet humour nous permet de prendre plaisir à chacune de nos interventions, ce qui est très important si on veut pouvoir s’inscrire dans la durée.

Comme nous revendiquons pour toutes les femmes le droit de pouvoir trouver un médecin si elles veulent avorter, nous revendiquons pour elles de pouvoir trouver une offre qui corresponde à leurs souhaits en matière d’accouchement. Tout comme nous exigeons qu’aucune ne soit infantilisée ou culpabilisée quand elle avorte, nous réclamons le respect pour celle qui donne la vie. Cela s’inscrit pour nous dans la même lignée que les combats pour le droit à la contraception et à l’avortement.

Nous ambitionnons aussi d’interpeller les soignants, car il est temps d’abroger les relations de pouvoir entre patientes et soignants et de les remplacer par une relation de confiance au sein de laquelle une femme se sent respectée dans ses choix. Ce n’est pas au soignant de décider ce qui est bon pour une femme ou son bébé, il est avant tout en devoir de lui donner une information claire et loyale, en la reconnaissant responsable quant aux choix qu’elle opère in fine

Une autre de nos ambitions est d’amener les professionnels de santé à prendre conscience de la part de risque induite par un interventionnisme déplacé, quand il n’est pas outrancier. Il n’y a pas d’un côté des femmes qui prennent des risques et des soignants qui sauvent des vies. La notion de risque est elle-même différente pour chacun. Là où une femme prend des risques aux yeux du soignant, elle a parfois la certitude de s’en épargner d’autres.

Toutes, nous avons envie d’interpeller le ministère de la Santé et plus largement les politiques, et il nous tient à cœur d’attirer leur attention sur le fait que toutes les femmes devraient pouvoir trouver sur le territoire français la solution qui correspond à leurs attentes. Il nous paraît aberrant qu’elles soient obligées de traverser nos frontières pour accoucher en Maison de Naissance ou qu’elles fassent appel à une sage-femme ou un médecin belge ou allemand pour accoucher à domicile, ce qui n’est d’ailleurs réservé qu’aux frontalières, du moins à celles qui peuvent se l’offrir ou qui sont suffisamment désespérées pour payer un prix parfois très élevé. Ce n’est pas seulement la sécurité des femmes et des bébés qui est en question – je pense ici à l’accouchement non assisté par dépit – mais aussi à l’égalité face à l’accès aux soins.

Et surtout – c’est cependant le message qui a le plus de mal à se faire entendre – il est question pour les femmes de pouvoir disposer librement de leur corps quand elles accouchent et d’être traitées en adultes responsables. La représentation que le monde médical se fait de l’accouchement ne saurait s’imposer à tous les individus, chacun de nous est libre d’en avoir une autre.

Quand il s’agit d’accouchement, les femmes s’entendent dire depuis toujours : « Pensez à votre bébé, pensez à vos autres enfants », voire « pensez à votre conjoint ». Aujourd’hui, nous leur disons : « Pensez d’abord à vous, tout le monde s’en portera mieux. »

12 septembre 2009