Biographie de Jean-Louis Baudelocque

À l’occasion du 200ème anniversaire de sa mort

La vie de l’accoucheur Jean-Louis Baudelocque est contemporaine des grands bouleversements politiques et scientifiques des périodes révolutionnaire et impériale, qui lui ont permis d’être reconnu à la fois comme un des plus célèbres obstétriciens de son temps et comme un grand pédagogue au service de la formation des sages-femmes. Malgré sa mort relativement précoce à 65 ans, il a eu une longue carrière au cours de laquelle la France a beaucoup changé et ses idées ont évolué.

Né à Heilly en Picardie, le 30 novembre 1745 – Mort à Paris, le 2 mai 1810.

Troisième enfant d’une fratrie de dix, il est le fils d’un chirurgien de campagne en Picardie qui l’initie à son art. Il achève ses études à Paris à l’hôpital de la Charité (au faubourg Saint Germain) sous un maître d’obstétrique réputé, Solayrès de Renhac (1737-1772). En 1772, après la mort prématurée de Solayrès, Baudelocque assure son enseignement et recueille les manuscrits de ses cours. A cette époque, la science obstétricale est renouvelée dans toute l’Europe par des pratiques nouvelles en cas de bassins rétrécis (césarienne, symphyséotomie, naissance prématurée provoquée) et par la mise au point de nouveaux instruments (forceps, leviers). L’enseignement de l’art des accouchements est devenu un enjeu important, à cause de l’idéologie populationniste qui incite les administrateurs de l’Etat à ouvrir dans les provinces des cours d‘accouchements à partir des années 1760. Pour un jeune homme ambitieux, l’obstétrique est sans aucun doute une discipline d’avenir.

En 1775, à l’initiative du chirurgien Augier du Fot, démonstrateur d’accouchements à Soissons, il publie, grâce aux manuscrits légués par Solayrès de Renhac, la première édition d’un manuel destiné à l’enseignement des sages-femmes : Anne Amable Augier du Fot, Catéchisme sur l’art des accouchemens pour les sages-femmes de la campagne, fait par l’ordre et aux dépens du gouvernement. Soissons, « Chez les libraires », 1775 ; Montpellier, Jean Martel aîné, 1776 ; Paris, Didot le jeune & Ruault, 1784. Cet ouvrage sera repris plus tard avec son seul nom, sous le titre Principes sur l’art des accouchemens par demande et réponses en faveur des élèves sages-femmes. Il connaîtra trois rééditions de son vivant et trois autres posthumes.

En 1776 Baudelocque est reçu maître en chirurgie par le Collège de chirurgie de Paris, avec une thèse portant sur la symphyséotomie (« An in partu propter angustiam pelvis impossibilis, symphysis ossium secanda ? ») : il se montre défavorable à cette opération barbare, qui consiste à sectionner la symphyse pubienne de certaines parturientes, par division des ligaments et des os cartilages qui unissent le pubis, pour élargir le bassin afin de laisser passer le fœtus L’année suivante, en 1777, le chirurgien Sigault pratique la première symphyséotomie proclamée réussie par la Faculté. Cette opération est pratiquée ensuite dans toute l’Europe par de praticiens avides de gloire. Baudelocque considère assez vite que c’est une opération dangereuse et inutile et lui préfère la césarienne.

Il se marie en 1777 avec Andrée de Rullier, dont la famille fabrique des mannequins de femmes enceintes pour les démonstrations dans les cours d’accouchements. Elle meurt sans enfants en 1787. En 1788, il se remarie avec Marie-Catherine Rose qui lui donnera 5 enfants. Il publie en 1781 et 1789 les deux premières éditions de son traité savant L’Art des accouchemens en deux tomes. Il devient célèbre pour son forceps, sa pratique de la césarienne et l’invention du pelvimètre, qui permet de mesurer le diamètre antéro-postérieur externe (“diamètre de Baudelocque”), afin de déterminer les patientes chez lesquelles pourraient être rencontrées des difficultés à la naissance.

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Gravure extraite du “Principes sur l’art des accouchemens”
1787

Les années révolutionnaires (1789-1799), après l’abolition de toutes les corporations et facultés, sont un moment extrême d’anarchie médicale, où les hôpitaux perdent une partie de leur personnel et de leur financement, où la collation des grades est suspendue et où n’importe quel charlatan peut se dire médecin. A cette époque, Baudelocque réussit à bâtir sa réputation d’accoucheur grâce à une clientèle de ville et à des cours privés d’obstétrique. En 1794, l’ancienne Faculté de médecine est remplacée par l’Ecole centrale de Santé de Paris : elle comporte deux chaires d’accouchement, l’une pour les étudiants, l’autre pour les sages-femmes dont est chargé Baudelocque. A cette date, les cours restent encore uniquement théoriques. En octobre 1795, l’Office des accouchées de l’Hôtel-Dieu qui abritait jusqu’à la Révolution des cours d’accouchement de haut niveau, est déplacé dans les bâtiments de l’Institut de l’Oratoire, rue d’Enfer, au sud de la capitale. Le nouvel établissement, appelé Hospice de la Maternité, doit à la fois à accueillir pour leurs couches les femmes pauvres et les filles mères et permettre la formation clinique des sages-femmes et des médecins de l’Ecole de Santé. Il effectue 1700 à 2000 accouchements par an. En 1798, Baudelocque, en plus de son poste de professeur d’obstétrique à l’Ecole de Santé de Paris, devient chirurgien en chef de la Maternité. C’est seulement en 1802, grâce à Chaptal chargé de l’Instruction publique, qu’est créée l’école de l’Hospice de la Maternité qui offre à des sages-femmes venues de toute la France un enseignement de haut niveau.

A partir de 1802, dans cette école exceptionnelle, Baudelocque déploie ses talents de pédagogue, en enseignant l’obstétrique à la fois à la Maternité et à la Faculté. Pour son enseignement, qui va des connaissances théoriques d’anatomie à la pratique de tours de main obstétricaux, il utilise son manuel par questions et réponses dialoguées, qui, selon lui, permet aux élèves de tester continuellement leurs connaissances et de s’entraîner mutuellement. Il utilise aussi les mannequins, très en vogue en son temps, qui permettent de s’exercer aux examens et aux manœuvres obstétricales sans blesser de parturientes ; et surtout, il insiste sur l’importance de la pratique au lit du malade qui permet de mettre véritablement en œuvre la nouvelle médecine clinique. A cette époque, il a beaucoup évolué par rapport à l’interventionnisme de sa jeunesse. Il insiste sur le fait que l’accouchement est une fonction naturelle ; il privilégie l’observation par rapport à l’action et montre qu’il faut savoir attendre et laisser faire la nature ; il se sert le moins possible des instruments. Il préfère le doigt à tout autre instrument pour mesurer le bassin et recourt au forceps le moins possible. En 1809, il indique que seulement 1% des accouchements à la Maternité sont contre nature. Comblé de charges et d’honneurs, il doit déléguer une partie de son autorité à la sage-femme en chef de la Maternité, Marie-Louise Lachapelle (1769-1821), dont il reconnaît les compétences ; il lui donne une grande autonomie, puisqu’elle assure une partie de l’enseignement des élèves sages-femmes et qu’elle est autorisée à manier seule le forceps en cas d’accouchement difficile.

Baudelocque a été mêlé en son temps à deux débats théoriques très virulents qui l’ont opposé à ses confrères : celui sur la symphyséotomie, et celui sur la césarienne. S’il a toujours été opposé à la symphyséotomie depuis sa thèse de chirurgie, en revanche, il a pratiqué des césariennes avec plus ou moins de succès, comme l’en accuse un de ses rivaux le docteur Sacombe. Ce confrère lui reproche, entre autres, d’avoir provoqué la mort d’une mère et de son enfant au cours d‘une césarienne mal faite. Pour se défendre des calomnies incessantes de Sacombe, Baudelocque doit se résoudre à le faire traduire en justice et il gagne son procès en 1804. Malgré cette pénible affaire, il garde une clientèle privée prestigieuse, dont plusieurs grandes dames de l’entourage de Napoléon : les reines d’Espagne, de Hollande, de Naples, les grandes duchesses de Berg et de Toscane et, peu de temps avant sa mort, l’impératrice Marie-Louise.

En ce début du XIXème siècle, Baudelocque est un des rares exemples d’accoucheur à plein temps. Comme l’écrit Jacques Gélis, « seuls quelques grands personnages ayant la responsabilité d’un établissement clinique (Boer à Vienne, Baudelocque à Paris) peuvent se permettre une telle spécialisation et être qualifiés d’accoucheurs au sens où nous l’entendons aujourd’hui. » Mort en 1810, Baudelocque n’a jamais pratiqué ni enseigné dans les locaux de la maternité qui porte son nom. Car c’est seulement en 1814 que la Maternité quitte l’Oratoire pour s’installer dans l’ancien couvent de Port-Royal où elle restée depuis.

 

Références :
Œuvres principales de Jean-Louis Baudelocque

  • Principes sur l’art des accouchemens par demandes et réponses en faveur des élèves sages-femmes, Paris, Méquignon, 1775, 1787, 1812, 1829, 1837. L’édition de 1787 peut être consultée en ligne sur le site de la BIUM.
  • L’art des accouchemens, 2 vol., Paris, Méquignon, 1781, 1789, 1796, 1807, 1815, 1822, 1833, 1844.

Biographies

  • F.CHAUSSIER, « Notice sur la vie et les ouvrages de M. Baudelocque. Discours lu à la séance publique de l’Hospice de la Maternité, le 20 juin 1810. » in J. L. BAUDELOCQUE, L’art des accouchemens…, Paris, Méquignon, 1815, 5e édition, p. 8-16.
  • E.MAUREL de LAPOMARÈDE, Baudelocque, sa vie, son œuvre, Paris, Jouve, 1899.

Le contexte

  • S.BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Naître à l’hôpital au XIXe siècle, Paris, Belin, 1999.
  • J.GÉLIS, La sage-femme ou le médecin. Une nouvelle conception de la vie, Paris, Fayard, 1988.
  • B.THIS, La requête des enfants à naître, Paris, Seuil, 1982.
  • D.B.WEINER, The Citizen-Patient in Revolutionary and Imperial Paris, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1993.