Paul Cesbron (1941-2021)

Paul Cesbron et la Société d’Histoire de la Naissance

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L’hommage lu aux obsèques de Paul Cesbron le samedi 23 octobre 2021
par Marie-France Morel, présidente de la Société d’Histoire de la Naissance.

Sans Paul Cesbron, la Société d’Histoire de la Naissance n’aurait jamais existé. En 2001, il y a tout juste 20 ans, Paul avait compris la nécessité de proposer aux soignants qui travaillaient autour de lui d’en savoir plus sur les racines de leur histoire. Pour ceux qui gèrent les naissances d’aujourd’hui au quotidien, il pensait que c’est un enrichissement de savoir comment se passaient les naissances d’autrefois ou d’ailleurs. Paul a donc créé cette petite société savante pour faire dialoguer les soignants de la naissance (obstétriciens, sages-femmes, puéricultrices, psychologues) avec des chercheurs universitaires (historiens, sociologues, philosophes, anthropologues, ethnologues…).
Dans cette entreprise, il a demandé à la grande historienne de la maternité, Yvonne Knibiehler, de présider la SHN. Elle aussi était persuadée de l’intérêt de la collaboration entre historiens et sages-femmes, Elle l’a montré à plusieurs reprises : d’abord en écrivant un ouvrage en collaboration avec Paul (La Naissance en Occident, Paris, Albin Michel, 2004), puis en enquêtant pour son livre Accoucher, femmes, sages-femmes et médecins depuis le milieu du XXe siècle (Rennes, ENSP, 2007, réédition en 2016), qui doit tout à la SHN et aux sages-femmes qu’elle y a rencontrées. Dans l’introduction, elle écrit : « L’histoire rend aux groupes sociaux un service comparable à celui que la psychanalyse rend aux individus : elle élucide la mémoire, pièce maîtresse de l’identité. »
Il y a un lien évident entre les activités militantes de Paul * et la fondation de la SHN. Ce n’est pas un hasard en effet si l’un des premiers objets d’études de la Société a été l’histoire de l’accouchement sans douleur (ASD, ou psychoprophylaxie obstétricale – PPO), initié par le docteur Fernand Lamaze, compagnon de route du PC, à la clinique des métallos de la CGT de la rue des Bluets en 1952. Rare moment dans l’histoire où la manière d’accoucher est devenue un enjeu politique. De la part de médecins militants, il s’agissait d’initier une nouvelle manière d’accompagner le travail de l’accouchement avec une méthode fondée sur les travaux de Pavlov et venue d’URSS en pleine guerre froide. Pour ses initiateurs, la méthode avait deux avantages : elle montrait la supériorité de la science soviétique sur celle de l’Occident qui ne connaissait presque rien pour soulager les parturientes, à part l’anesthésie générale ; elle était aussi un réel soulagement pour toutes les femmes, et a été proposée d’abord aux militantes, puis peu à peu à toutes les femmes qui accouchaient dans les années 1950 et 1960.
En 2002, à Châteauroux, chez son ami Max Ploquin, Paul organise le premier colloque de la SHN consacré au 50e anniversaire de l’ASD, avec notamment de nombreux témoins encore vivants. À la suite de ce colloque et des travaux de la SHN, deux historiennes, Marianne Caron Leulliez et Jocelyne George, ont publié un grand livre L’accouchement sans douleur. Histoire d’une révolution oubliée (éditions de l’Atelier, 2004).
En 2005, Yvonne Knibiehler a souhaité mettre un terme à son mandat de présidente. Paul, qui était secrétaire et faisait tout fonctionner, aurait pu lui succéder, mais il ne souhaitait pas se mettre en avant, persuadé qu’il fallait une historienne pour présider. C’est ainsi qu’il m’a demandé d’accepter le poste de présidente. Durant 16 ans jusqu’en 2017, Paul a exercé les fonctions de secrétaire de manière exemplaire, invitant les conférenciers les plus intéressants pour nos journées trimestrielles, veillant à ce que les interventions soient dactylographiées ou enregistrées, pour qu’il reste une trace de nos séances, apportant lui-même en voiture des cartons de livres et de polycopiés des travaux de la SHN pour les distribuer, organisant tous les trois ans des colloques de haut niveau réunissant un public de 200 à 300 personnes (sages-femmes, soignants, historiens et usagers de la naissance… ). En 2017, Maï Le Dû, sage-femme et sociologue, lui a succédé avec compétence et dévouement. Mais, symboliquement, la Société est restée domiciliée chez lui à Creil jusqu’à ce jour. Toutes ces dernières années, Paul a continué à être très présent à nos réunions et aussi lors de discussions privées avec les uns et les autres.
Dans nos réunions et colloques, Paul avait deux passions : les sages-femmes, dont il voulait toujours mettre en avant la dignité et la légitimité (cette attitude n’est pas si fréquente chez les obstétriciens) ; et les historiens avec lesquels il échangeait sur l’histoire de la médecine. Il avait une immense culture historique. Il avait lu tous les traités anciens d’obstétrique avec un intérêt particulier pour les sages-femmes pionnières, Louise Bourgeois au XVIIe siècle et Angélique Le Boursier du Coudray au XVIIIe siècle. Il avait aussi une grande admiration pour l’accoucheur hongrois Ignaz Semmelweis (et pour Céline qui avait écrit sa thèse de médecine sur lui), parce qu’il avait essayé, au milieu du XIXe siècle, de sauver la vie des femmes en couches, en ordonnant aux accoucheurs de Vienne de se laver les mains avec de l’hypochlorite de calcium pour ne pas propager la fièvre puerpérale. Il n’était pas tendre avec les médecins d’autrefois et il s’enflammait parfois à propos de leur suffisance et de leur inhumanité. Nous avons eu souvent des discussions à ce propos, en particulier s’agissant des dissections anatomiques tentées sur des esclaves vivants dans la prestigieuse école médicale d’Alexandrie à l’époque hellénistique (au 3e siècle avant notre ère). C’était pour lui la faute originelle, inexcusable, de la médecine occidentale.
Pour nous les historiens, le rencontrer était une ouverture inestimable ; quand nous lisions dans les archives le récit d’un accouchement difficile ou d’une mort en couches, il était intéressant d’avoir son point de vue sur les problèmes obstétricaux et les éventuelles autopsies. Il a par exemple rendu précisément hommage à Louise Bourgeois pour sa gestion habile et prudente en 1608 d’une rare présentation par la face lors de la naissance de Gaston, l’un des enfants de Henri IV et Marie de Médicis.
Paul était un humaniste, à la fois comme médecin et comme historien. Merci Paul pour la Société d’Histoire de la Naissance qui continuera après toi les confrontations si fécondes entre médecins, sages-femmes et spécialistes de sciences humaines !

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