“49 jours”, l’avortement à domicile

Intervention d’Hélène Cesbron à la Journée d’études de la Société d’histoire de la naissance du 11 juin 2011

Hélène Cesbron, médecin généraliste en Gironde, a longtemps exercé à Creil (60). Elle pratique l’avortement en ville depuis que la loi de 2001 (décret d’application du 28 novembre 2004) le permet. Elle témoigne de cette expérience dans son dernier ouvrage. Â travers la présentation de plusieurs portraits de femmes (mais parfois aussi d’hommes, d’enfants), elle montre à la fois comment cet évènement est de l’ordre de l’intime, mais est aussi un acte éminemment social, et comment cette pratique vient mettre à l’épreuve la relation classique médecin-patiente en déplaçant l’avortement de l’hôpital vers le domicile.             

Médecine générale

Le médecin de famille, puis le médecin généraliste et le médecin traitant, est devenu le médecin spécialiste de l’individu dans sa globalité physique et psychique, et son environnement social et familial.
La médecine, composée de médecine et de chirurgie, est enseignée à la faculté de médecine. Le terrain d’apprentissage est l’hôpital. La médecine est  enseignée par chapitres d’organes et les stages dispensés dans les services d’organes.
Le cœur en service de cardiologie et par le cardiologue, le ventre en service de gastroentérologie et par les gastroentérologues…
La faculté de médecine forme ainsi des spécialistes d’organes. Mais qui enseigne la médecine générale, et d’abord qu’est-ce que la médecine générale ?

Jusque dans les années 1990, des concours classants, externat et internat, vont sélectionner les étudiants en médecine par leurs niveaux de compétences scolaires à l’écrit. Il n’y a aucune évaluation de la pratique ou de la tenue de l’étudiant face aux patients
Le concours de l’externat qui existe jusque dans les années 1970, permettait, dès la 4e année d’étude, de faire le tri entre les étudiants qui resteraient hospitaliers et spécialistes et ceux qui partiraient sur une filière allégée de médecine générale. Les études de médecine générale, vouées à la médecine de famille étaient plus courtes et moins techniques.
Le concours de l’internat, jusque dans les années 2000, permettait de faire le tri dès la 7e année entre les futures spécialistes, hospitaliers ou non (cardiologue installée en ville), et les médecins généralistes exclusivement non hospitaliers par une filière plus courte, bien qu’allongée par rapport à la précédente époque.
La médecine générale était rarement choisie, mais plutôt souvent subie par l’échec au concours de l’internat de spécialités.
Cette technique de tri reléguait la médecine générale en sous-médecine ou médecine du moins bon. Cette réputation était déjà acquise depuis plusieurs générations d’étudiants.

La distinction entre hôpital et ville à eu une double conséquence, celle des compétences médicales et celle du statut de rémunération : la médecine générale devenait l’affaire des étudiants incapables de devenir spécialistes, la médecine générale était obligatoirement en secteur libéral, avec une tarification moindre, justifiée par le nombre d’années d’études réduites.
Depuis la fin des années 1990, sont appelés « internes » tous les étudiants en médecine, à partir de la 7e année, dès le début du 3e cycle, quel que soit leur statut. C’est le choix de la spécialité au concours qui détermine la dénomination plus précise de l’interne, interne de cardiologie, interne de médecine générale.
C’est à cette époque que sont apparus les stages appelés « chez le praticien », le praticien étant le médecin généraliste. Les internes de médecine générale vont avoir accès à leur futur métier en ayant une formation nouvelle et spécifique. Au début, quatre semaines étaient requises pour valider le droit d’exercer la médecine générale, jusqu’à ce jour où 2 semestres au moins en médecine de ville et un semestre en médecine préventive (PMI, médecine scolaire) sont devenus obligatoires.

Le concours de l’internat est, depuis 4 ans, ouvert et obligatoire pour tous les étudiants, leur permettant de choisir en fonction de leur classement. La médecine générale vient d’être acceptée par l’université comme une spécialité à part entière, nécessitant le même nombre d’années d’études que les autres spécialités. Les praticiens prenant des étudiants à leur cabinet en stage sont formés pour devenir maitres de stages, et des professeurs de médecine générale sont reconnus au sein de l’université.
La médecine générale, celle de l’individu dans sa globalité, dans son environnement familial et professionnel, est reconnue comme terrain de stage pour les futurs médecins généralistes. Ce qui apparait comme logique aujourd’hui n’a pas toujours eu cette évidence, maintenant cette dernière spécialité doit être enseignée et non pas apprise sur le tas, comme ce fut le cas pendant des générations.

DU et DIU

De plus en plus, les jeunes thésés, voire même les internes dès la fin de l’internat, se voient proposer des diplômes supplémentaires permettant un approfondissement d’un domaine qu’ils désirent acquérir.
Les diplômes universitaires, post-doctoraux, les DU ou DIU, fleurissent et permettent de s’engager dans une voie particulière que la faculté n’a pas eu le temps d’enseigner à un public large.

C’est ainsi que les diplômes de PMI, de régulation des naissances, contraception, d’allergologie, d’homéopathie… voient le jour et permettent l’engagement dans une voie professionnelle choisie, préférée, orientée.

Tout en devenant médecin généraliste, le jeune médecin oriente sa consultation, sa pratique quotidienne en fonction de ses désirs ou convictions.

Réseaux

Par ailleurs, le médecin de ville, quelle que soit sa spécialité, peut participer à une nouvelle organisation sanitaire, le réseau ville-hôpital.
Les réseaux font désormais partie du paysage habituel de la santé publique et du champ médico-social.

Si, au début du 20ème siècle, ils devaient répondre à des problématiques concernant l’ensemble de la population (les dispensaires et la lutte contre la tuberculose, le planning familial), aujourd’hui ils se spécialisent sur des thématiques en ciblant des publics et des territoires ( lutte contre le cancer du sein en Gironde).
Les réseaux ne sont pas l’œuvre des seuls professionnels du soin, mais s’organisent autour de partenariats impliquant aussi les collectivités, l’État, le privé.

Réseau orthogénie

C’est ainsi qu’ont été créés, avec la loi de 2001, les réseaux d’orthogénie ville-hôpital.
La définition du réseau d’orthogénie a été proposée par le premier réseau régional d’orthogénie en France, le réseau REVHO en IDF, réseau qui entoure les professionnels de santé dans cette nouvelle offre de soins, dans le respect du cadre légal, tout en garantissant un niveau de qualité et de sécurité de soin maximal aux patientes.

Le réseau est un partenariat obligatoire à la pratique de l’IVG médicamenteuse en ville et réunit le médecin de ville, le chef de service hospitalier en gynécologie ou en orthogénie, le directeur de l’établissement et les caisses de sécurité sociales.
Le réseau protège les professionnels de ville en leur assurant l’aide hospitalière en cas de complications, protège les patientes du fait d’une organisation prioritaire entre son médecin et l’hôpital.

Décret d’application 28 novembre 2004 

La loi de juillet 2001, dite loi Aubry sur l’avortement et la contraception, et plus précisément en ce qui concerne l’interruption de grossesse en ville le décret d’application du 28 novembre 2004, est une énorme avancée, rendant aux femmes et à une catégorie de praticiens exclus, le droit de l’IVG en ville.

Avant 1975, les médecins généralistes et les sages-femmes étaient les premiers soignants professionnels à s’occuper, clandestinement, des avortements.
La loi de 1975, pour laquelle j’ai par ailleurs le plus profond respect, va encadrer et limiter cette pratique d’avortement au seul univers médical et hospitalier. La loi étant passée difficilement grâce ou par un transfert du ministère des droits des femmes au ministère de la santé, ce transfert va donner toute sa connotation médicale et spécialisée à l’avortement. Son caractère militant dans l’accès à la liberté de son corps va être alors déplacé et minimiser.

La loi Veil dépénalise en limitant l’acte volontaire à 10 semaines, alors que précédemment et clandestinement, il n’y avait pas de limite. La question des semaines de grossesse ne se posait pas dans les mêmes termes.
La loi Veil encadre, en restreignant au seul corps médical et hospitalier la pratique. Évidemment dans un souci de sécurité médicale pour les patientes. Le corps des gynécologues-obstétriciens va être chargé quasi exclusivement d’en assurer la prise en charge. C’en est fini de l’avortement dans les caves, par des personnes ne connaissant rien à l’appareil génital féminin.

La loi Aubry, outre qu’elle augmente les conditions d’accès et le choix pour les femmes, va permettre aux médecins généralistes de pratiquer à nouveau, et de façon légale, les interruptions de grossesse. Après 25 années de mise en parenthèse d’un acte qui touche la moitié des patients d’une consultation de médecine générale.

La loi Aubry prévoit un allongement du délai de prise en charge, allège le protocole social en levant l’obligation de consulter un travailleur social ou de conseil conjugal. Les femmes ne sont plus obligées d’invoquer une situation particulière, de justifier leur choix pour décider d’interrompre leur grossesse.
La loi Aubry augmente le choix en autorisant une nouvelle méthode d’IVG, la méthode médicamenteuse et en proposant un autre lieu : la maison !

Nous regrettons que les sages-femmes n’aient pas été inclues dans le même temps, leur histoire n’est pas la même.
Cependant, par une présentation au Sénat en 2009, refusée ensuite au Conseil constitutionnel pour diverses raisons, et un projet soutenu par les sages-femmes, on voit poindre le changement.

Avortement à la maison      

  • Avorter à domicile, c’est :                

À domicile, dans sa maison, son appartement, le lieu que l’on choisit pour être au mieux, le lieu où l’on se sent protégée du regard des autres
Le lieu où l’on se promène en pyjama, où l’on peut grimacer sa douleur sans témoin, où l’on peut saigner, se doucher, se vautrer dans sa couette ou devant la télé, les jambes en l’air, la tête sur les genoux de son compagnon ou de sa mère.
Le lieu où l’on mange si on veut, quand on veut, où l’on dort sans risquer l’irruption de madame thermomètre
Le lieu où l’on décide de ce qui est bien pour soi, pour son rythme corporel, pour gérer ses émotions.

  • Avorter à domicile, c’est aussi :

Avorter en ville, à la campagne, en dehors des structures hospitalières…
Avec le médecin de son choix, son propre médecin traitant ou le confrère voisin de son médecin.
C’est avorter près de sa maison, dans son quartier, sans l’obligation de prévoir un trajet pénible en train ou en bus, voire un voyage à l’étranger
Avorter à domicile redonne ainsi la dimension quasi naturelle, évidente de cet acte. Une femme sur deux avorte en France, et encore plus dans les pays où les lois ne le permettent pas, voire l’interdisent.

L’avortement fait partie de la vie des femmes, quelle que soit leur origine sociale. L’avortement fait partie de la médecine générale.
L’avortement accompagné par un médecin en cabinet de ville permet une prise en charge rapide. Le médecin généraliste étant le médecin des premiers soins et des urgences reçoit la patiente généralement dans les 48 heures. le dossier de cette première consultation permettant de rassurer la patiente sur la prise en charge de sa demande.
Ces consultations s’insèrent dans les consultations traditionnelles de médecine générale et permettent ainsi un grand respect de la confidentialité de l’acte. La salle d’attente est commune aux enfants malades ou aux personnes âgées pour un renouvellement d’ordonnance. On peut certes y croiser sa voisine, mais la raison peut être complètement cachée. Il ne s’agit ni d’une salle d’attente de gynécologue et encore moins de centre d’orthogénie où les raisons de la présence des femmes sont évidentes.

Relation médecin-patiente

Avorter à domicile, c’est finalement avorter accompagnée par son médecin. Un médecin garant du bon déroulement du protocole, qu’il soit légal ou médical.

  • Il est le seul interlocuteur, parfois aidé par une secrétaire. L’équipe accompagnante est alors réduite, ce qui permet à la patiente de conserver un secret presque absolu. Ce point est fréquemment repris dans les consultations en opposant l’intimité d’un cabinet au brouhaha indiscret d’un service hospitalier.

Le médecin est préalablement formé à cette nouvelle technique par le réseau, permettant ainsi de répondre aux interrogations générées par cette nouveauté. Est-ce que j’aurai plus mal, est-ce que je saignerai plus, est-ce que je pourrai avoir des enfants plus tard ?

  • La méthode de l’interruption médicamenteuse est très simple techniquement. Elle requiert un savoir global du fonctionnement de l’être humain, mais ne nécessite pas de super technicité : un bureau, deux ou trois chaises, un stylo et une paire d’oreilles !

Le dossier médical permettant de s’assurer qu’il n’y a pas de contre-indication à la méthode peut être simple. Mais le dossier permettant de faire connaissance avec un être humain, de comprendre son histoire de vie, de lui permettre de se poser dans ses réflexions, est celui qui prend du temps.

Les étudiants en médecine qui font le stage chez ce praticien ressortent généralement émerveillés par la richesse de la relation. En finalement peu de temps, 4 ou 5 consultations très rapprochées, deux êtres humains, la patiente et le médecin, vont faire équipe pour imposer efficacement le choix de la première. Ces consultations deviennent presque magiques pour un observateur profane. Comment, avec si peu de technique instrumentale et aucun examen clinique, l’on arrive à soulager un être humain parfois en très grande souffrance ?

  • C’est une méthode d’accompagnement de la femme, voire, au 21e siècle, du couple. Les meilleurs accompagnants ne sont pas les médecins, et en ce domaine ils n’ont pas de formation, ou très peu.

Une seule spécialité vient d’émerger dans ce domaine, ce sont les soins palliatifs. L’accompagnement de la plus grande souffrance en lâchant la plus grande technique (réanimation ou chirurgie). Les médecins devront apprendre à accompagner afin de devenir humainement meilleurs.

  • C’est une méthode de plus en plus efficace

Les dernières études et thèses de médecine générale montrent combien l’IVG à domicile (ville versus hôpital pour la méthode médicamenteuse) est moins douloureuse, moins hémorragique, moins angoissante. L’hôpital est anxiogène, on y meurt, on y soigne des maladies très graves. Le médecin généraliste lui est aux petits soins, cela renvoie à la simplicité de l’acte.

Intime 

Pas de technique, pas d’examen, donc accès à l’histoire de cette grossesse dans son contexte. D’emblée, la consultation prend une autre allure. La patiente n’est pas chez le gynécologue et n’aura pas à montrer ses fesses, lieu de la faute et de la future souffrance.

On se pose, on s’écoute, on se regarde.
On explique, on raconte, on pleure souvent et on rit aussi.
Mon bébé, mon enfant, ma grossesse, mon rien ou mon plus tard.
J’hésite, je ne sais plus, je doute ou j’en suis certaine.
Je le quitte, je le tue, je l’abandonne, je lui dis à bientôt.
C’est secret ou partagé, c’est comme avec ma mère ou c’est tellement différent

J’ai mal,
À mon ventre, à mon cœur, à ma tête, et j’ai peur.
Je ne saigne pas, je ne ressens pas de culpabilité, je sais que c’est le meilleur choix.
Je suis obligée, je n’ai pas le choix.
Puis-je me laver les mains, faire une prière ?

Autant de consultations, autant de richesses humaines et d’apprentissage pour le médecin.

Éléments de conclusion

  • Les choix :

Deux méthodes, donc le choix d’une des deux.
Deux anesthésies, donc le choix d’une des deux.
Deux localisations possibles, en structure ou avec un médecin hors structures dit « de ville ou de campagne ».
De son accompagnant.

La femme n’est plus considérée comme une mineure (consultation psycho-sociale) sauf la mineure.
Prise en charge par la sécu et la mutuelle.

  • Les disparités :

Disparités géographiques : villes ou campagnes, accès à un centre hospitalier à moins d’1 heure de transport (à pied, en commun ou individuel).
Disparités d’accès aux méthodes : écoles du médicament ou de la chirurgie, école de l’anesthésie locale ou générale.
Disparités d’application de la loi : limitations à 7 SA, à 9 SA dans les centres sans chirurgie, à 12 SA au lieu de 14 SA.
Donc disparités dans le choix !

  • Les exigences futures

La disparition d’un délai de réflexion fixé par autrui.
L’allègement du protocole vers une quasi non médicalisation de l’acte, en confiant l’accompagnement aux professionnels de l’accompagnement, quels qu’ils soient, voire par les femmes elles-mêmes.
La possibilité pour les femmes de se procurer directement des médicaments.